Maisy dut se retenir pour ne pas crier - c'eût été attirer l'attention de tout le voisinage et, surtout, laisser le plaisir à sa rivale (une fille comme ça chez elle, ce ne pouvait être qu'une rivale) de la savoir contrariée par sa présence.
La dénommée Caitlyn, quant à elle, ne semblait pas le moins du monde gênée de se trouver face à face avec Maisy. "Quelle insolente", se dit en elle-même la maîtresse de maison, "je la surprends pratiquement dans le lit de mon mari, et voilà qu'elle me fait un grand sourire de sainte nitouche ?". Cependant, Caitlyn tendait toujours le bras en direction de Maisy. Allait-elle lui rendre son bonjour ? "Il ne manquerait plus que cela", ruminait Maisy. Elle tourna les talons, laissant Caitlyn sur le pas de la porte.
Fouillant dans son petit sac à main en cuir rouge verni de ses longues mains aux ongles tout aussi vernis de rouge, Maisy en sorti une petite pochette en velours noir, contenant un téléphone portable rouge sang - dernier cri, bien sûr. Son premier mouvement fut de composer le numéro de la maison, afin de demander à son époux de faire cesser cette mascarade. Elle renonça cependant à ce projet, ayant dans l'idée qu'une fille aussi insolente que cette Catherine, ou Coline... ou Caitlyn ou peu importe comment, n'hésiterait sans doute pas, après avoir souillé les draps du ménage, à décrocher le téléphone familial. Maisy se décida finalement à appeler les renseignements : elle désirait connaître le numéro du motel le plus proche, et le plus minable possible.
C'est avec une jubilation à peine contenue que Maisy pianota le numéro du motel."Bonjour, jeune homme. Je souhaiterais réserver une chambre. Oui, pour ce soir même. Dans une heure environ. Pour mon mari."
La vengeance est un plat, chacun le sait, qui se mange froid...
Après ce rapide coup de téléphone, Maisy se dirigea à nouveau vers la porte de la maison, cette si belle porte qu'elle avait elle-même choisie dans la boutique de décoration la plus chic de Fairview, en bois de chêne massif percé d'un vitrail coloré à faire pâlir les rosaces de cette vieillerie européenne de Notre-Dame de Paris... porte qui était maintenant honteusement masquée par la silhouette de l'insolente Kathleen, ou Caitlyn ou Catherine ou peu importe, qui n'avait même pas eu la pudeur de s'éloigner tandis que Maisy était au téléphone.Sans un mot, Maisy bouscula Caitlyn et s'engouffra dans la maison. C'est volontiers qu'elle l'aurait enfermée dehors, si l'insolente, avec son insolente silhouette de mannequin, ne s'était pas faufilée à l'intérieur à temps.
Maisy se retourna, regarda l'étrangère dans les yeux et articula ces quelques paroles du ton le plus hautain dont elle disposait dans son répertoire d'intimidation :
"Et vous, vulgaire petite traînée, allez-vous me suivre jusque dans ma chambre ?"
Lui lançant quelques billets de dix dollars à la figure, elle continua :
"Voilà, prenez pour vos bonnes oeuvres, et maintenant, dehors."
Caitlyn restait stupéfaite. A ce moment, l'un des fils de Maisy, réveillé sans doute par la voix aiguë de sa mère, descendit en courant l'escalier en marbre de la demeure et se précipita... dans les jambes de Caitlyn.
A ce moment précis, un bruit de clefs se fit entendre... Le maître de maison entra, un sac de pharmacie à la main.
Quel ne fut pas l'humiliation de Maisy lorsqu'elle comprit que cette fameuse Caitlyn n'était autre qu'une jeune fille au pair, engagée par son époux pour s'occuper des enfants en son absence... Et que si celle-ci était si peu vêtue, c'est qu'elle avait dû se lever en pleine nuit pour s'occuper d'un enfant fiévreux tandis que le père s'était rendu à la pharmacie la plus proche s'enquérir de médicaments...
Quant à l'époux de Maisy, il était visiblement furieux de la manière dont sa femme avait ainsi débarqué en pleine nuit, crachant son venin sur une malheureuse employée, osant proférer des injures à son époux... Alors qu'elle même sortait de prison pour prostitution. Le couperet tomba sans merci sur Maisy :
"Cette chambre au motel, ma chère épouse, c'est toi qui va l'occuper cette nuit, et peut-être même les suivantes."